Homélie 15 sept 24
24ème dimanche du temps ordinaire B – Mc 8, 27-35
Nous sommes à la moitié de de l’évangile de Marc. Tout bascule. Le héros des foules se révèle comme le Christ, c’est-à-dire le Messie. Oui, frères et sœurs, la question est centrale : « Qui dites-vous que je suis ? ». Qui est-il pour ceux qui le suivent ?… Alors, qui est-il pour nous ?
Cela fait deux mille ans que la question retentit. Qui est-il donc ? Pierre a osé déclarer : Tu es celui que nous attendions, celui dont la venue change tout pour notre peuple, puisque c’est toi que nous attendions. Tu es le Messie ! Pouvait-il dire plus ?… Si vous avez déjà fait l’expérience de lire tout l’évangile selon saint Marc d’une traite, vous avez sans doute remarqué qu’il s’agit d’un véritable parcours pédagogique : le programme en est annoncé dès le premier verset du 1er chapitre : évangile de Jésus, Chris, Fils de Dieu. Autrement dit, on va d’abord découvrir que Jésus est le Christ, c’est-à-dire le messie… c’est précisément le point où nous en sommes aujourd’hui. Mais le chemin n’est pas fini, nous n’en sommes qu’à la moitié ! L’autre moitié du chemin, c’est de le reconnaître comme Fils de Dieu ? aujourd’hui, c’est Pierre qui le reconnaît comme le Messie. Mais qui va reconnaître Jésus comme Fils de Dieu… et quand ?… eh bien , ce n’est pas Pierre ! C’est le centurion romain – un païen ! – au pied de la croix : voyant comment il avait expiré, il déclara : Vraiment, cet homme était le fils de Dieu ! Oui… de Messie à Fils de Dieu, le chemin est encore long, et il faut passer par la croix.
« Tu es le Messie ! » Pierre aurait-il donc tout compris ? Non, hélas. Ce titre est bien ambigu dans sa bouche. Ses pensées sont encore loin d’être celles de Dieu. Ah ! si Jésus pouvait être un Messie triomphant ! Sa gloire rejaillirait sur Pierre et ses compagnons. Or, dès que Jésus est reconnu comme Messie, il parle du rejet qui l’attend. Il s’offrira les mains nues, avec pour seule arme l’amour jusqu’au bout. Il ne sera pas le ministre plénipotentiaire d’un Dieu de puissance, mais l’envoyé du Père qui veut entretenir avec nous une relation de liberté. Et la liberté ne se force jamais… Mais Pierre, refuse cette perspective, au point de se faire traiter de Satan par Jésus !
Mettre nos pas dans ceux de Jésus est donc un choix bien risqué. Nous voudrions tant que la foi au Christ nous garantisse succès, santé et richesse de manière automatique : il suffirait de le prier suffisamment fort pour que le distributeur fonctionne… C’est d’ailleurs ce que qu’une majorité de chrétiens aux Etats-Unis attendent du Christ, selon une étude sociologique récente. Mais nous savons bien que ce ne fut pas le cas pour Jésus lui-même. Pourquoi serait-ce le nôtre ?
L’Évangile ne sera jamais au service de notre grandeur personnelle, parfois dissimulée sous des vêtements d’humilité. Il nous faut renoncer à nous-mêmes. L’Évangile est un signe de contradiction. Il ne caresse pas le monde dans le sens du poil et il nous prend nous-mêmes à rebrousse-poil. L’annoncer à la suite de Jésus nous fera rencontrer la croix, sous quelque forme que ce soit.
Que ces contrariétés ne fassent pas naître en nous une once de haine ou de mépris. C’est l’amour du Christ jusque sur la croix qui nous a tous sauvés. La passion est chemin de vie ! Tel est le cœur de notre foi.
Qui donc est Jésus ? Un « Messie crucifié », dira un jour saint Paul. Et où donc le rencontrer, aujourd’hui, lui qui est ressuscité ? Un jour, un catéchiste proposa à ses enfants un petit exercice. Si on vous annonçait que, cet après-midi, Jésus arrive au train de 14h21, comment le reconnaîtriez-vous à la gare ? Chacun y a été de sa réponse. Il aura une robe blanche, ou des bandages aux mains. Je le reconnaîtrai à son regard… L’un des enfants a été plus audacieux : on ne le reconnaîtra pas ! Manque de foi ? Pas du tout !
Tel est le paradoxe de notre foi. Jésus, le ressuscité, est bien le Fils unique, Dieu venu en notre chair, à un moment précis du temps, en un lieu de notre terre. Et en même temps, chacun peut le reconnaître en tout homme et, en priorité, dans les plus pauvres et les plus souffrants. Et c’est sans doute dans la mesure où nous le rencontrons davantage à l’intime de nous-mêmes que nous serons en mesure de le rencontrer dans les autres. Deux expériences qui ne sont pas en concurrence, mais qui se nourrissent mutuellement. C’est très bien de parler de foi, dit saint Jacques dans la seconde lecture. Mais montre-la dans tes actes ! Si tu pries et qu’un pauvre frappe à ta porte, tu quittes Jésus pour retrouver Jésus !
Amen.