Et cela commence dès le prologue où l’auteur de cet Evangile montre que la lumière de Jésus dépasse et surpasse toute la loi du Judaïsme.
Il était connu que la Torah (la loi juive) était une « lampe » pour les juifs, une lumière pour leur chemin. Elle était non seulement « source de lumière », mais plus encore, elle était elle-même « lumière » Ps 119,105, et « vie » Ps 119,93. Moïse avait allumé le flambeau de la loi pour repousser les ténèbres du péché et de la mort.
Mais voici que Jean, dans son prologue, va montrer que Jésus « le Logos » la Parole de Dieu, c’est lui « la véritable lumière, celle qui éclaire tout humain » 1,9. Elle a une portée universelle qui illumine toute personne et qui surpasse de très loin la loi juive. Et il le dit clairement, « Dieu nous a donné la loi par Moïse ; mais le don de la lumière est venu par Jésus-Christ » 1,17.
Mais immédiatement, il sera précisé, par trois fois, que cette lumière ne sera ni « comprise »1,5, ni « reconnue »1,10, ni « accueillie » 1,11 !
Ce conflit annoncé entre lumière et ténèbres sera mis en récit de façon dramatique et polémique dans cet Evangile de l’Aveugle-né dans le contexte de la fête des Tentes qui s’étend sur 3 chapitres 7 à 9 où tout y est tendu, dramatique, violent dans les paroles comme dans les gestes.
A 6 reprises, dans cette section il est dit que les autorités juives « cherchent à faire mourir Jésus » (7,1.19.20.25. ; 8,37.40) et à se « saisir » de lui (7,30.32.44. ; 8,20) : « Ils cherchèrent alors à l’arrêter mais personne ne parvint à mettre la main sur lui car son heure n’ était pas encore venue ». Le « faire mourir », « l’arrêter », « mettre la main sur lui » et finalement : « Alors, ils ramassèrent des pierres pour les lancer contre lui, mais Jésus se déroba et sortit du Temple » (8,59) et c’est alors qu’il « vit un homme aveugle de naissance » 9,1.
A 6 reprises, dans cette section, la violence de la discussion pousse tout le monde (pharisiens, foules, y compris Jésus) à dire des choses qui sont dures et à aller jusqu’à s’insulter : « Tu es possédé d’un démon, disent les foules à Jésus ! » 7,20 ; « N’avons-nous pas raison de dire que tu es un Samaritain et un possédé » 8,48.49.52 ; « Il déraisonne, arrêtez de l’écouter ! » 10, 20-21. « Votre père, c’est le Diable, (8,44) dit Jésus aux Juifs ; Non rétorquent les juifs : c’est toi qui es un enfant du diable » 8,48-49 ! « Un enfant né de la prostitution ! » 8,41
Toute l’atmosphère est sous le signe des interrogatoires, des enquêtes, des procès, des tensions, des menaces de mort, d’exclusion, d’expulsion ! C’est que Jésus y atteint le summum de ses revendications divines considérées comme blasphématoires par les autorités juives. « Au dernier jour » de cette fête alors que le grand prêtre descendait à la piscine de Siloé pour y puiser de l’eau réputée miraculeuse dans une cruche d’or pour venir la répandre en libations sur l’autel du temple, Jésus détourne l’attention de cette cérémonie rituelle : regardez plutôt de mon côté, dit-il « à haute voix » : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive ! Je suis la vraie source d’où coule la vie éternelle » 7,37-39.
Mais ce n’est pas tout. Le puisage de l’eau à Siloé était accompagné aussi d’un rite grandiose de la lumière. Des immenses candélabres d’or s’allumaient dans le temple. Et les femmes et les hommes dansaient la « danse des flambeaux » au point qu’il « n’y avait pas une cour à Jérusalem qui ne fut illuminée par la lumière du temple » ! Et Alors Jésus s’écrie : « Je suis la lumière du monde. Celui qui vient à moi ne marchera pas dans les ténèbres mais il aura la lumière qui conduit à la vie » 8,12.
Regardez désormais vers moi, Je suis le Temple ! Je suis la Source ! Je suis la lumière ! « Je suis la présence de Dieu au milieu de vous ». JE SUIS. Il n’y a plus qu’à ramasser des pierres pour les lui jeter !
C’est alors que Jésus passe des paroles aux actes et redonne la lumière à l’aveugle-né. Comme Envoyé de Dieu, il le recrée, homme nouveau, à l’image de Dieu, à son image ! Puis Jésus disparaît de la scène comme s’il laissait l’homme à ses responsabilités. De tous les Evangiles, c’est le plus long épisode où Jésus quitte le devant de la scène pour une aussi longue durée laissant, permettez-moi l’expression, cet homme devenu « son disciple » 9,28 se dépatouiller dans les interrogatoires qui vont se succéder les uns après les autres : interrogatoires qui deviennent un véritable PROCES qui va se terminer par une condamnation : « Tu n’es que péché…et ils le jetèrent dehors » 9,34.
Mais ce qui est remarquable ici, c’est que c’est la très longue absence de Jésus et les interrogatoires des adversaires qui vont obliger cet homme à « avancer progressivement dans la lumière de la foi », à parler au nom de Jésus et de le défendre face à ses adversaires. C’est par ses réparties audacieuses et malicieuses, ses contre-attaques courageuses et offensives que cet homme accomplit un véritable parcours de foi depuis « l’homme qu’il appelle Jésus » jusqu’à le reconnaître « Seigneur » en l’ayant entre deux reconnu comme « prophète » !
Sa foi grandit à mesure qu’elle est contestée, dénoncée et décriée ! C’est l’affrontement qui fait grandir sa foi et le fait progresser jusqu’à la profession de foi finale et totale : « Je crois Seigneur ».
Et même temps que celui qui ne voyait pas voit et croit, tous les autres qui croyaient voir refusent de se laisser convaincre par l’éclatante lumière de Jésus et cherchent preuve sur preuve pour finir par prononcer une condamnation sur Jésus et une exclusion pour l’aveugle illuminé !
Cet aveugle-né devenu disciple, « fils de la lumière » 12,36 au point de parler comme Jésus « MOI JE SUIS » 9,9 ne pourrait-il pas nous rendre courage sur nos propres chemins de foi ? En ces temps difficiles d’indifférence ou d’incroyance que Jean appelle ténèbres, cet aveugle-né nous dit que c’est à nous de défendre Dieu, c’est à nous de répondre pour Dieu, c’est à nous de travailler comme Jésus à recréer le monde, à lui ouvrir les yeux sur tout ce qui n’est pas conforme au projet créateur de Dieu, à tout ce qui défigure notre monde et l’humanité : le rendement pour le rendement, l’argent pour l’argent, le pouvoir pour le pouvoir… Il est temps de se faire laver les yeux par Jésus pour mieux voir où sont nos priorités, nos essentiels, nos urgences…
Avec la foi courageuse de l’aveugle-né, levons les yeux vers Jésus celui qui est lumière encore et toujours pour l’homme aujourd’hui